Gilles Bornais propose un essai intitulé « Les aventuriers de la nage », un titre percutant qui suscite un plongeon instantané. Publié en avril 2025 aux Éditions du Rocher, ce livre apporte une nouvelle dimension à l’œuvre foisonnante d’un auteur qui mêle ici son expertise sportive et sa sensibilité. Gilles Bornais compose donc un récit singulier, traversé par la passion et l’authenticité. Au fil des pages, portée par un intense flux d’émotions, j’ai vécu cette lecture comme une véritable odyssée intérieure. De surcroît, prendre le temps de chaque mot est devenu mon objectif clé.
Les thématiques abordées sont les suivantes :
– L’élément aquatique.
– La quête de liberté.
– Le dépassement de soi.
– La solitude choisie.
-Une raison d’être.
Gilles Bornais décrit l’ élément aquatique comme une dimension vivante à la fois force à maîtriser et source d’énergie. Entre le nageur en eau libre et l’ élément aquatique s’instaure une relation intime qui impose une attitude intérieure particulière : l’état d’un passager immergé dans chaque remous et apte à se redécouvrir autrement, à se réinventer face aux fluctuations tangibles de l’eau.
L’auteur illustre la quête de liberté comme une échappée vers l’infini. Un infini défini par le pratiquant lui-même , selon sa propre mesure initiale. Promesse de liberté et de danger à la fois, l’eau ne l’implore pas, mais il s’y plonge, déterminé et intrépide.
Puisant dans ses réserves profondes de volonté, le nageur en eau libre s’engage au-delà de son corps, luttant avec bravoure et concentration extrêmes face aux exigences imposées par cet élément en tension. Tel est le dépassement de soi décrit par l’ auteur.
Dans les Aventuriers de la nage, la solitude, pure rencontre avec soi-même, devient une alliée indéfectible. Et loin de l’isolement subi, elle demeure un refuge puissant , dans lequel le nageur peut pleinement se déployer. Cette fascination pour l’élément aquatique , une raison d’être gouvernée par l’inconscient, est aussi un miroir, reflétant non seulement le corps, mais aussi les profondeurs de l’âme.
Extraits :
» Il tarde à Trudy que les beaux jours reviennent ; elle veut à nouveau se fondre dans la mer, profiter de ce silence qu’elle est la seule à entendre, effacer l’affront qu’elle s’ est elle-même infligé, ressusciter son rêve qui n’est plus qu’un squelette… »
Ici, Gilles Bornais évoque Trudy Ederle , la première femme à avoir vaincu la Manche à la nage en 1926. Par ses mots puissants, il souligne le désir de cette nageuse à vouloir retrouver sa raison d’être qui demeure liée à ce retour à la mer, à la renaissance de ses aspirations profondes. Se réengager dans ce projet de vie va lui permettre d’effacer sa blessure.
» Aucune vague ni douleur ne peut l’éteindre. «
Par le biais de cette sublime phrase qui décrit Trudy Ederle, l’auteur évoque une forme de dépassement de soi. Ce refus d’être » éteinte » est une manifestation éclatante de résilience qui permet de transcender la souffrance et de se relever face à l’adversité. De ces mots, émerge une véritable grandeur d’âme.
» Jacques Tuset fait partie de ces battants qui, pour reprendre les mots de Paul Valéry, cherchent la sensation de vivre davantage. «
» Chez des passionnés de cette trempe, l’action tend vite à devenir une mission qu’ils s’ assignent à eux-mêmes. «
Ce passage illustre avec brio cette quête profonde de sens et d’intensité dans l’existence. En écrivant ainsi, Gilles Bornais rejoint la notion philosophique de projet existentiel décrite par Paul Valery autour de la construction active de son existence. Par la justesse de son propos, l’auteur fait résonner une vérité intrinsèque.
» J’étais dans un état de grâce… »
» Dans cette immersion totale, les émotions sont mises au service de l’action au point qu’il perd la conscience de lui-même ; il est l’activité. «
Gilles Bornais décrit avec une grande justesse un » je » qui se transforme pour mourir à l’avant. Arnaud Chassery fusionne- t-il avec le divin pour s’abstraire de lui-même et parvenir à s’insinuer à la lisière d’une dimension inconnu ?
» À condition de posséder un minimum de technique, de souffle et de constance , chacun peut, comme Anne, crawler éternellement ailleurs qu’entre les deux murs d’un bassin, flotter au- dessus de son âge, l’âme battante et le coeur léger. «
Merci à l’ auteur d’ évoquer avec une telle grâce, Anne Batteau, 79 ans, officieuse doyenne de l’ eau libre en France. Véritable bouleversement pour moi , lectrice et nageuse aussi, notamment lorsque j’apprends que cette femme soigne ses maux avec la nage en eau libre. Guérisseuse silencieuse, l’eau n’est elle pas l’amie qui s’invite inopinément ? La seule. L’unique.
» J’aime le silence qui m’entoure quand je suis dans l’eau. »
Ce qui me frappe ici, c’est le terme » silence » que ressent Aurélie Muller à l’instar de Trudy Ederle. Dans le silence, ne perd-on pas la notion du temps pour pouvoir être, tout simplement … À moins qu’en guise d’anesthésie du temps, on s’ouvre à une présence attentive.
Nul néant, mais lucidité absolue.
» Stéphane Krause vit si intensément ses » nages » qu’ après chacune d’elles, il ne peut s’empêcher de songer: » Maintenant, je peux mourir. «
Ne s’agit- il pas d’un témoignage puissant de l’acceptation d’une étape naturelle?
Une forme de lâcher- prise qui affleure le divin …
Cette expérience de lecture m’a laissé une empreinte émue, à la fois formatrice et bouleversante, une sincère leçon de vie.
À lire de toute urgence, ce pur joyau littéraire est la preuve qu’il ne faut jamais abandonner la source de nos espoirs.
Par Véronique Villard