Même à cinq, le football reste une occupation éminemment collectiviste. C’est ce qu’ont démontré les Bleus de l’AES, le samedi 10 mars, en dominant, avec leur fair-play admirable (la gagne, oui, mais dans le respect de l’autre; la correction certes, mais dans le jeu, pas dans le résultat), les Rouges de Libération qui se sont sans doute révélés un peu naïfs face à l’expérience grandissante de ceux que le presse spécialisée commence à surnommer «les Galactiques de la plume et de l’encrier».
Joliment cimentée, notre formation n’eut de crainte que les premières minutes. Menés assez vite 1-0, les «hommes de Jimmy Adjovi-Boco» (hélas absent, mais la périphrase est une nécessité absolue dans la presse aussi bien écrite qu’audiovisuelle) surent rapidement remettre le ballon au centre du terrain, tout en le contingentant à l’intérieur des entrepôts transformés de la porte de la Chapelle.
Grâce en soit rendue à tous, même si chacun mérite des louanges personnalisées. En souplesse et en vitesse, l’apport de Mohamed, gardien égyptien (écrivain fantôme selon nos adversaires, alors qu’il est l’auteur du best-seller cairote Sociologie du ballon rond dans le Haut Nil au temps des pharaons, hélas non traduit, et qu’il travaille aujourd’hui sur un ouvrage très attendu Les Pyramides, première théorisation du jeu en triangle), fut indéniable. Exemplaire dans les buts et sauveur à de nombreuses reprises, il est évidemment nominé dans le Top 5 de nos meilleurs joueurs.
Laissons pleuvoir les hommages, même en terrain couvert:
Ollivier, contributeur sensible (qui, selon un confrère podologue, «possède deux pieds d’or»… «et des mains surtout», renchérit une manucure proche), a su scorer comme souvent: «Marquer n’est pas un dû, mais un devoir», écrivait-il au siècle dernier dans son Dribbles chaloupés, cheveux bouclés et vice-versa, paru chez Plomb, épuisé hélas.
Bertrand, dont les étudiants en lettres classiques de Leipzig dissèquent toujours avec dévotion son légendaire Le WM? Non, il ne s’agit pas d’une marque automobile, aux éditions Sturm und Catenaccio, se révéla comme à l’accoutumée solide aux arrière-postes. L’assise défensive est un domaine dont il est propriétaire à vie.
Sébastien, quant à lui, conjugua polymorphisme et ubiquité, sans négliger d’être coriace également au contact. Mais ce ne fut pas une surprise pour ceux qui ont lu et estiment grandement son ouvrage Le Tacle, plus qu’un geste, une éthique, troisième réassort, chez Brique and Stock…
Enfin, il faudrait inventer une nouvelle échelle des notes pour jauger ce que Baptiste apporta à ses partenaires. Aussi technique qu’un soudeur serbe, plus vif qu’un céramiste mexicain, moins gourmand qu’un chamelier dahoméen, il saupoudra de son talent les 90 minutes d’un combat qu’à ses côtés nul ne pensait perdre. Lire son Pour un football sans frontière, pas besoin de visa devient dès lors une obligation.
Le groupe proposa en effet, aux yeux de spectateurs peu nombreux mais experts en féérie, des mouvements d’école que Jules Ferry regretta toute sa vie de n’avoir pu enseigner aux jeunes enfants de la République. Car ainsi joue, il faut le savoir, l’AES Football Club lorsque ses joueurs sont en confiance. Et si l’ensemble de la rencontre fut néanmoins âpre comme un refrain de Richard Cocciante, sa conclusion restera à jamais soyeuse comme un succès d’Annie Cordy. Alors qu’il ne restait que quelques minutes, la symphonie pouvait en effet s’achever. Les Libé’s boys eurent beau refaire leur handicap de deux buts, Baptiste scella définitivement le sort d’une rencontre qui ne pouvait nous échapper (7-6).
Les buts ? La chronique se souviendra sans doute que les récipiendaires potentiels au prochain soulier d’or se bousculèrent. Ollivier ,donc, ouvrit le score et relança l’espoir; puis, si Allah est certes grand, Mohamed l’est bien plus encore, notamment lorsqu’il bute (une fois aussi), alors que Bertrand puis votre dévoué faisaient l’intérim dans les cages; Sébastien, d’un joli coup de patte, nous assura à son tour une avance que l’on crut confortable. Quant à Baptiste, avec cette férocité normande et atavique, il fut le grand Viking crucificateur de nos opposants avec, me semble-t-il, quatre réalisations toutes plus chorales les unes que les autres.
Succès en poche, sourire en bandoulière, nous pûmes retourner au vestiaire, puis au bistrot. Une douche suivie de quelques pintes vinrent hydrater les dermes asséchés et caresser les foies victorieux. En posant dans le même temps un cataplasme tiède sur le désarroi des jeunes pousses du groupe Altice.
On promit néanmoins de se revoir…
Rémy Fière
(Mémorialiste, hélas non publié, de Fond de jeu et fond de teint, ou comment masquer son âge sur un terrain)
P.S. Ancien coach du FC Libé, l’auteur de ces lignes tient à rendre hommage à ses jeunes confrères, Willy, Rachid, Julien, les deux Quentin, G et D, sans oublier Fabien, portier vaillant. «Les gars, si je me réfère à l’histoire de votre club lorsque j’en étais le responsable, les chiffres parlent avec franchise. Mon bilan n’est pas si mitigé: 0 victoire, 61 défaites et un nul, évidemment négocié. Alors, courage, vous pourrez peut-être faire mieux. Je vous embrasse en attendant.»