L’auteur propose un roman intitulé « Chlore », un titre accrocheur en adéquation parfaite avec l’histoire proposée. La couverture possède une palette de couleurs qui reflète le thème central du livre. Publié en avril 2022 chez Talent Editions, ce roman vient enrichir le remarquable parcours de l’auteur qui s’est accompli autant dans sa vie sportive que littéraire.
En lisant l’incipit, j’ai perçu d’emblée que Bruno Giroux savait susciter l’émotion du lecteur, ce qui demeure la clé d’une œuvre réussie. Dans ce roman, un père, après avoir vécu un drame, se reconstruit dans l’eau d’une piscine « Tournesol » où il finit par emmener son fils. Commence alors une période durant laquelle l’homme lui relate les exploits de trois grands champions de natation, Jany, Nakache et Boiteux, revisitant leur parcours exceptionnel.
Au travers d’une fiction psychologique, Bruno Giroux parvient à évoquer d’une manière subtile le milieu de la natation, nous accaparant sans relâche. Tout se mêle, s’entremêle, rien ne venant troubler l’ordre des phrases. En d’autres termes, la structure coule, limpide. Une phrase qui déroule sa grâce dépeint la natation avec justesse :« La technique se crée, s’adapte, se moule, fusionne avec le nageur et évolue aussi avec la distance à parcourir. » Une opposition métaphorique décrit parfaitement la stratégie du nageur : « En natation, il faut savoir arrondir les angles. » Dans la phrase suivante, le narrateur associe des mots puissants qui interpellent le lecteur : « D’habitude fuyante, l’eau s’est mise pour la première fois à se resserrer sous ma main, à se condenser, à devenir cet appui solide tant recherché. »
Faut-il lire Bruno Giroux pour découvrir un tel souffle de beauté au travers de cette succession de mots : « Je compris ce jour que pour François Bidel, une piscine n’était au fond que la métaphore exacte d’une portée musicale avec son tempo rapide, ses pulsations montantes et ses nombreux soupirs. »
Et puis survient un instant de grâce, cet hommage à Nakache ! De l’émotion à l’état pur malgré des conditions redoutables : « Il nage sans s’arrêter, du barbelé en guise de ligne d’eau. Chaque soir, il accomplit ce rituel en secret, cette liturgie sportive qui le ramène à la force de son humanité et inverse la courbe du cœur. » Enfin, comment ne pas relire plusieurs fois cette phrase qui révèle avec authenticité la difficulté tangible de devenir nageur de haut niveau : « Ce sera, pendant ces trois semaines, un travail de mineur qui me fera mourir mille fois dans la plus stricte intimité. » Ou cette envolée littéraire digne d’un auteur confirmé : « Peut-être qu’à force de se dépasser, on finit par se perdre de vue. »
Bruno Giroux maîtrise l’art du portrait à merveille, jouant avec les mots, créant ses propres images : « Jayson voussoie l’eau avec une élégance de dandy, ses coudes sont hauts, ses poignets sont souples… une nage absolument parfaite, épluchée du moindre défaut… ». Je recommande la lecture de « Chlore », un roman ému et émouvant, écrit avec une plume habitée. Il s’agit d’un pur moment de grâce où la fiction proposée côtoie l’histoire des grands nageurs…
Par Véronique Villard