Julien Legalle propose quatorze portraits d’écrivains, tous passionnés par un sport voire plusieurs. Le titre accrocheur nous permet d’entrer instantanément dans le vif du sujet. Une certaine émotion émane de la couverture laquelle s’harmonise parfaitement avec le titre. De surcroît, les trois photos choisies attirent la curiosité d’un lecteur avisé. Publié en 2023 aux Editions du Volcan, ce livre souligne une corrélation manifeste entre la plume et le sport.
Chaque portrait est le fruit d’une recherche exceptionnelle, laquelle constitue la force du texte, l’âme de l’auteur se mêlant à celle de l’écrivain concerné.
Concernant Arthur Cravan, l’excipit capte l’attention : « Une tombe sans corps, le mystère demeure. » Qui est Arthur Cravan ? Poète ? Boxeur ? Voyageur ? Tout à la fois, mais surtout précurseur du mouvement dada. En tant qu’extravagant personnage, son insubordination radicale l’incite à vouloir se mettre en scène dans une forme de provocation. « Ses insolents combats sont des performances, de violentes danses poétiques. » Comment décrire avec plus d’intensité ce que Cravan nous donne à voir dans cette jouissance poétique de l’outrance…
Quant à Samuel Beckett, il bâtit une œuvre littéraire avec l’esprit de performance d’un sportif. Mais n’oublions pas qu’il demeure un adepte du cricket à l’école primaire… Une grâce tangible se déploie dans l’association des deux derniers termes de la phrase suivante : « Son écriture témoigne d’une forte vitalité et d’un langage athlétique. » N’y a-t-il pas chez Samuel Beckett un sportif qui n’a pas fini d’être, voire un mental de sportif qui se marie avec la littérature…
Pour ce qui est de Luis Sepulveda, son destin bascule. En effet, il écrit une trentaine de livres tout en restant un amoureux inconditionnel du football alors qu’il s’est toujours rêvé en joueur professionnel. Homme de lettres, humaniste, néanmoins sportif jusqu’à la fin de la nuit. Or écrire n’est-ce pas jouer avec les mots comme on joue avec le ballon rond ?
Et puis Colette… Elle pratique la culture physique, la boxe puis s’adonne au music-hall. « Cette présence du corps se retrouve dans l’écriture, par la traduction des pulsions et défis. » Ces mots illustrent à merveille Colette, femme libre, libérée, émancipée, quoique contradictoire, dixit l’auteur, puisque ses protagonistes peuvent être mi-soumises mi-rebelles. Femme aux « mille vies et mille visages », ainsi Julien Legalle la décrit-elle avec une douce poésie. Ce faisant, n’est-ce pas une écrivaine à qui le sport offre sa magie ?
Merci à l’auteur de nous apprendre comment Pier Paolo Pasolini interprète l’acte footballistique… Ainsi, en référence à Ferdinand de Saussure, « le football est un système de signes, c’est-à-dire une langue mais non-verbale. » D’autre part, « Pasolini distingue le football en prose et le football poétique. » Ici, l’auteur nous intrigue, néanmoins lire cet ouvrage n’est-ce pas vouloir maîtriser le sens d’un tel discours ?
Quant à Jack Kerouac, Julien Legalle, par le biais de mots limpides, parvient à dépeindre pleinement l’homme que la plupart d’entre nous méconnaissent. « Jack est sportif, il pratique le baseball, l’athlétisme et se démarque principalement par sa rapidité de course. »
Comment ne pas mentionner l’évocation de l’auteur sur Arthur Conan Doyle, laquelle éclaire le lecteur sur la personnalité remarquable de cet homme qui s’adonne au cricket avec brio, participant à quatre cent douze matchs. « Arthur n’a pas considéré le sport tel un élément d’hégémonie politique ou d’exaltation nationaliste, mais a souligné son importance sociale… »
Agatha Christie, elle, « c’est une pionnière et une inconditionnelle des vagues ». Bref, Julien Legalle nous divulgue la nature sportive de cette femme adepte du surf. Toutefois, perdre l’équilibre sur une planche n’est-ce pas mener le même combat que le romancier qui ne désespère jamais de trouver la phrase idéale…
Pour ce qui est d’Ernest Hemingway, mythe de la littérature, on découvre un homme voulant relier l’écriture à la boxe. Et pourquoi pas ? Une notion de combat n’existe-t-elle pas dans ces deux disciplines ? Si dans écrire il y a mener un combat avec les mots, par conséquent dans boxer il y a vivre un combat avec l’autre. Du mot à l’humain, la lutte restant une volonté d’être, une volonté de se sentir exister.
« Le football, à la vie, à la mort », illustre à merveille Albert Camus, homme de lettres, brillant, incomparable, intemporel. D’ailleurs, si ces mêmes termes referment le chapitre, n’est-ce pas dans une intention d’imprégner le lecteur ? Savez-vous que devenu gardien de but où il excelle, Camus occupe comme un poste théâtral…
Finir en beauté avec Antoine Blondin c’est ressusciter mon père, Bernard Villard, qui évoquait souvent cet homme. Journaliste, écrivain sportif, Antoine Blondin s’épanouit en tant que suiveur du Tour de France. Hélas, sa plume atypique ne lui permet pas de braver les ombres de la vie. Heureusement, son talent ne cessera de toucher les âmes avisées…
Bravo à Julien Legalle pour cette œuvre foisonnante consacrée à des écrivains sportifs pour lesquels le sport est devenu une seconde raison de vivre. Tous ne sont pas nommés, cependant chacun mérite sa place sur le fil de l’éternité…
Je recommande vivement la lecture de ce formidable ouvrage…
Par Véronique Villard